©Chris Cleave
Chris Cleave est un romancier anglais qui vit à Londres avec sa femme française et ses 3 petites têtes : 2 garçons et 1 fille. Petitestetes.com vous fait partager quelques morceaux choisis de la vie de ce papa trentenaire en publiant certaines de ses chroniques écrites chaque semaine pendant 2 ans pour The Guardian inédites en France et traduites pour Petitestetes.com.
Pour en savoir plus au sujet de Chris Cleave, rendez-vous sur : www.chriscleave.com
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Séjour Surnaturel
Une chronique de Chris Cleave
Frères et sœurs, comme moi en charge de jeunes enfants, une mission m’a été confiée, une mystérieuse connaissance m’a été transmise. Ecoutez bien, mes amis : il existe un lieu où nous pouvons aller, où il n’y a plus de souffrance. Il existe un lieu où nous pouvons nous échapper sans avoir à enlever de bateau pirate, de requin en caoutchouc ou de livre en plastique de la baignoire avant de pouvoir l’utiliser. Il existe un lieu où les petits objets brillants restent exactement à la place où vous les avez laissés, où les murs d’un beige immaculé n’ont pas connu les Crayolas, où aucune petite main ne jette nos téléphones portables dans les toilettes. Relevez vos visages fatigués, amis voyageurs, car ce lieu existe, et il s’appelle une chambre d’hôtel. Et dans mon cas, même pas luxueuse.
J’ai passé la première moitié de la semaine tout seul, dans un 2 étoiles crasseux à New York, et ça a été comme si la gravité s’était arrêtée, comme si chaque seconde de la journée ne nécessitait aucun effort et était imprégnée par la grâce. Si je suis si excité à ce sujet, vous allez en déduire que je ne sors pas beaucoup. Quitter la maison avec nos enfants prend quarante minutes de larmes, récriminations, et l’emballage de trucs dans une quantité hallucinante de sacs qui s’imbriquent les uns dans les autres, comme des instruments financiers complexes – les pantalons de rechange pour prévenir les accidents et les boissons gazeuses pour les provoquer. Mais, quitter ma chambre d’hôtel ne m’a pris qu’une seconde d’ici-bas. J’ai simplement daigné penser à partir et – hop – j’étais parti. L’effet m’a tellement réjoui que je l’ai refait plusieurs fois d’affilée, bavant presque de plaisir. J’ai mis une chemise propre et quand je suis sorti de ma chambre une minute plus tard, la chemise était toujours propre (C’est un miracle que ne comprendront que ceux qui connaissent la viscosité de la morve de garçon). Je flottais sur un nuage dans la ville, allant d’un rendez-vous professionnel à un autre, achetant des objets qui n’étaient pas de la marque Pixar et m’entretenant dans le genre de restaurants qui ne possédaient pas de chaise haute même si on en avait eu besoin. Tout était tranquillité, beauté et bonheur absolu.
Et puis, comme dans le second acte d’une histoire de Stephen King, tout devint un peu surnaturel. Je fus réveillé à 3 heures du matin par ce que j’espérais être les agissements d’un cadre moyen s’adonnant, dans la chambre voisine, à des relations charnelles avec quelque partenaire recrutée pour l’occasion ; en tous cas il s’agissait soit de ça soit d’un meurtre. Le bruit ne s’arrêtait pas. J’allumai la télé, qui m’offrit le choix difficile entre les infos de FOX TV ou des films pour adultes. Ce qui me fit ressentir étrangement désincarné, parce que je me sens nettement trop jeune pour ce genre de films et trop vieux pour ce genre d’infos. Donc je me suis levé et j’ai pris une douche et j’aurai juré que l’eau était rouge sang jusqu’à ce que je réalise qu’il y avait de la rouille dans les tuyaux. J’en tremblai, sortis et me rasai. Je réalisai alors que j’étais en train de me barbouiller le visage de mousse comme pour faire rire nos enfants. Et j’utilisais de la mousse, et non pas du gel, même en étant si loin d’eux, parce que notre fils aîné l’exige. Il adore l’effet « barbe du Père Noël » ; il me regarde avec sa tête inclinée, comme hypnotisé quand je me rase. Quand je détournai les yeux du miroir, je fus surpris de ne pas le voir.
Lorsque Toys R Us a ouvert, j’y suis allé direct et ai acheté un tas de cochonneries en plastique, du genre à aller repêcher dans le bain. En marchant pour me rendre à mon rendez-vous suivant, je réalisai que j’étais en train de fredonner l’air qui faire rire le plus jeune de nos fils. Je souriais aux tout-petits, qui me regardaient avec les yeux de mes propres enfants, jusqu’à ce que leurs nounous froncent les sourcils et détournent l’objet de leur soin hors de portée de ce curieux personnage. Je réalisais, comme ils le font finalement dans les histoires de Stephen King, que la seule façon de lutter contre cet état était d’aller à la source de celui-ci : il était temps pour moi de retourner à la maison voir bobonne et les enfants.
Il existe un lieu où on peut aller pour s’échapper loin de tout pour un petit moment, mais c’est seulement rigolo pour 24 heures. Après, on est hanté, dans tous les lieux imaginables, par la présence du fantôme de nos enfants. Ils nous manquent tant, cela pourrait être une très belle façon de le dire.
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