©Chris Cleave Chris Cleave est un romancier anglais qui vit à Londres avec sa femme française et ses 3 petites têtes : 2 garçons et 1 fille. Pour en savoir plus au sujet de Chris Cleave, rendez-vous sur : |
Mamie RebelleUne chronique de Chris CleaveJohnny Hallyday, l’increvable bourreau des cœurs français, a inventé le rock’n’roll. Mais, ce n’est pas la peine de dire aux français qu’il ne l’a pas inventé, ils ne voudront pas le croire. Ma belle-mère est française et elle est « très rock ». C’est une soixante-huitarde. C’est une anarchiste. C’est une anarchiste française : très probablement du genre à vouloir renverser le système après le déjeuner, armée d’une coquille d’huitre de Quiberon aiguisée. Elle refuse d’apprendre l’anglais et je pensais qu’elle n’en parlait pas un mot, jusqu’au jour où nous sommes passés devant deux innocents agents de police et que je l’ai entendu marmonner : zese bloody cops (ces foutus flics). Cette Mamie française rebelle est géniale. Nos enfants l’adorent. Quand elle vient nous voir, on les retrouve derrière la maison avec elle, leur apprenant comment manger des escargots crus et rejeter la fumée d’une Gauloise par le nez. Notre Mamie française rebelle révèle au grand jour une bataille secrète et extrêmement divertissante qui nous oppose constamment ma femme et moi. C’est une compétition sournoise, créative et subtile pour prouver à nos deux fils lequel des deux pays de leurs parents est le meilleur. Cela plaît à la Mamie française rebelle, en pur style Méditerranéen, d’attiser ces braises avec quelques gouttes d’huile d’olive. Elle, étant aussi française que ma femme, a de fortes réserves sur la capacité des Anglais à élever correctement des enfants de moins de 5 ans. Elle ne comprend pas comment nous avons réussi aussi intelligemment à rendre le coût de la vie si élevé dans ces îles britanniques que les parents doivent constamment se relayer pour travailler et garder les enfants, tout en réussissant à boire autant que possible à tous les autres moments. En tant qu’Anglais, je ne suis pas d’accord sur le fait de donner du vin à tous les repas aux enfants et de les encourager à bloquer les ports. C’est simplement parce que je ne dois pas comprendre « l’esprit rock’n roll ». Durant sa dernière visite, alors que le journal français Le Monde (traduisons : la France) se lamentait que les enfants français de nos jours ne savent pas d’où vient le lait, je me tournai fièrement vers notre fils de deux ans et lui demandai : « Au moins toi tu sais d’où vient le lait, n’est ce pas ? » Et celui-ci me sourit fièrement en pointant le doigt vers le réfrigérateur et dit : « F’igo papa, le lait vint du F’igo ! » Et notre Mamie française rebelle m’adressa un sourire vainqueur radieux qui n’avait plus été vu dans ce pays (en Angleterre) depuis l’invasion de 10661. Clairement c’était le moment d’aller visiter une véritable ferme pédagogique en famille. Il y en a plusieurs près de chez nous, avec des noms tordants comme les « fermiers en pyjamas » ou « farmageddon ». La moitié sont de vraies fermes où le fermier a rajouté un château gonflable, et l’autre moitié sont des aires de jeux en bois où quelque escroc a attaché un alpaga, mais toutes ont en commun qu’arrivés à la billetterie vous vous retrouvez à poser la question classique d’un papa « c’est combien ? ». Mais l’éducation n’a pas de prix -à moins que cela ne coûte 7 euros par enfant et 12 euros par adulte accompagnateur - donc nous avons payé et nous sommes courageusement partis chercher d’où vient le lait. Et particulièrement dans cette ferme- que nous appellerons Ma Très « Chère » Ferme - il est vite devenu évident que le lait venait du F’igo. Il était en vente à la buvette à 1 euro 50 la brique, et nulle part ailleurs. Il y avait bien une vache, certainement complètement droguée pour se laisser caresser, mais il s’agissait plutôt d’un taureau, éventuellement émasculé peut-être. Ne me demandez pas les détails techniques : je suis un esthète, vous le savez bien. Pédagogiquement cette journée fut un bide mais on s’est rarement autant amusé. Le comble fut pour moi lorsque notre petit de 2 ans a demandé pourquoi le grand cheval avait une autre jambe qui poussait, et que sa Mamie française rebelle lui a répondu ce n’est pas une jambe mais son zizi (zat iz no leg, zat iz iz zee-zee) ! Tout aussi divertissant pour nous et les autres fut le spectacle de notre fils de 4 ans émergeant haletant d’un parcours du combattant sécurisé et criant : JE N’AI PAS BESOIN DE FAIRE PIPI J’AI JUSTE BESOIN DE SAUVER LE MONDE ! avant de retourner au combat. Mais le plus mémorable pour les employés de notre très « Chère » Ferme fut certainement le moment où ils ont dû expulser notre mamie française rebelle du trampoline des enfants. Personne d’autres qu’elle ne pouvait enfreindre autant de règles à la fois (interdit aux sexagénaires, aux talons, et de sauter en buvant son expresso). Personne non plus ne pouvait autant désarmer les employés agricoles avec sa dénonciation passionnée de crypto-fascisme, au point qu’ils la laissèrent retourner sur le trampoline. A la fin, ce furent nos garçons qui durent demander à leur mamie rebelle française de partir et la conduisirent morts de rire jusqu’à la voiture, où elle passa son temps soit à comploter avec les garçons soit à me demander de griller les feux rouges. A les entendre chuchoter et glousser à l’arrière de la voiture on se serait cru au début de la Révolution Française. Nos enfants sont à moitié français, et si leur grand-mère y est pour quelque chose, je crains que ce ne soit pour une sacrée moitié ! 1 Invasion de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant |
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